Généalogie d'un breton

Bretagne

samedi 08 novembre 2008

125 070 poilus bretons morts pour la France

Le 19e Régiment d'infanterie de Brest en 1915 : Collection Yann Thomas

Deux historiens mettent un terme à la longue polémique sur la façon dont les Bretons auraient été sacrifiés lors de la Première Guerre mondiale.

C’est la fin d’une longue polémique sur la façon dont les Poilus bretons de la Première guerre mondiale auraient été sacrifiés. Deux historiens y mettent un terme.
 

De 120?000 morts, pour l’estimation officielle, à 240?000 morts, selon le mémorial de Sainte-Anne-d’Auray et selon une plaque aux Invalides… Soit deux fois plus de morts que dans les autres régions françaises?! Depuis près de 90 ans, la polémique fait rage sur la manière dont les Bretons – « chair à canon » – auraient été saignés pendant la grande boucherie de 1914-1918. Polémique habilement relayée, voire même délibérément amplifiée par certains, soucieux d’ériger la Bretagne en grande victime du centralisme jacobin.
 

« Cette polémique est close », assurent deux historiens, Yann Lagadec, maître de conférences en histoire à l’université de Rennes 2, et Henri Gilles, ingénieur pétrole en retraite. Ce dernier, originaire de Scaër (Finistère), passionné depuis toujours par la Bretagne en général et 14-18 en particulier, a voulu en savoir davantage.
 

Un nombre fiable « à 99 % »
 

Recenser les monuments aux morts?? Une œuvre de bénédictin à laquelle tous les historiens ont jusqu’ici renoncé… Henri Gilles, qui vient de passer une maîtrise d’histoire à la Sorbonne, a alors voulu utiliser la base de données Mémoire des hommes, mise en ligne sur Internet (1) par le ministère de la Défense depuis 2003. « Un outil incomparable, qui recense nommément chacun des 1?342?587 morts pour la France », constate-t-il.
 

Le hic, c’est que cette base n’est consultable que par le nom de famille, elle ne permet pas d’autres critères d’investigation, dont l’origine géographique. Henri Gilles s’accroche, auprès des Archives nationales et du ministère?: il parvient à y rencontrer une interlocutrice qui connaît parfaitement l’outil et lui donne les moyens de l’interroger autrement. Résultat?? Le nombre de morts de 14-18 nés en Bretagne s’élève très exactement à: « 125?070 ».
 

En affinant sa recherche, Henri Gilles retranche quelques doublons, « dont ceux des officiers qui apparaissent deux fois », ce qui donne 122?600. Auxquels l’on peut rajouter les soldats « non-morts pour la France »?: « Les malades, les quelques fusillés, les réformés morts après coup, etc. » Après tous ces correctifs, Henri Gilles avance un total hautement probable de: « 138?000 morts ». Un nombre fiable « à 99 % », assure Yann Lagadec, professeur d’histoire moderne à l’université de Rennes 2.
 

Choc émotionnel
 

Les résultats d’Henri Gilles vont maintenant faire l’objet d’une publication scientifique par Yann Lagadec, spécialiste des deux dernières guerres, heureux de pouvoir mettre un terme à cette pénible et macabre polémique.
 

Sur quel ressort a-t-elle joué?? « Sur le choc émotionnel. » Parce que la Bretagne était une région rurale très peuplée (3,2 millions d’habitants), le traumatisme y a été, « mathématiquement », plus fort qu’ailleurs?: « Les cinq départements bretons étaient alors parmi les treize départements français les plus peuplés. Et, simultanément, les plus ruraux. » Chaque petit village breton a donc subi de plein fouet la terrible saignée.
 

Et tout le monde a, depuis, trouvé « intérêt à maximiser ce total des pertes… », analyse, philosophe, Yann Lagadec. L’église et le camp conservateur, « pour valider cette idée du sacrifice breton »?; les Républicains, « pour démontrer que les Bretons avaient été capables de se mobiliser et de s’intégrer au modèle de l’identité nationale. » De part et d’autre, un égal cynisme…
 

« 393 noms inscrits sur le monument aux morts de Scaër, c’est énorme. C’est, de toute façon, beaucoup trop », conclut Henri Gilles.
 

Christophe VIOLETTE.
 

(1) http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/