Généalogie d'un breton

Internet dépoussière la généalogie

LE MONDE | 30.04.10 | 16h00 • Mis à jour le 30.04.10 | 16h00

Les Français s'intéressent à leurs racines. 61 % ont déjà entrepris des recherches sur leur famille ou leur nom, selon un sondage Ipsos publié jeudi 29 avril pour le compte de Généalogie.com, le premier site français consacré à la généalogie qui revendique une communauté de plus de 5 millions d'utilisateurs.

Contrairement à une idée reçue, la généalogie ne serait plus seulement un passe-temps pour retraités. Selon les résultats de cette enquête menée du 5 au 9 mars auprès d'un échantillon représentatif de 1033 individus âgés de 16 à 64 ans, 65 % des moins de 35 ans déclarent avoir déjà fait des recherches sur leur ascendance.

Et en 2010, chercher la trace de ses ancêtres ne passe plus obligatoirement par une plongée dans des archives poussiéreuses, mais tout simplement par la case Internet. Ainsi, 55 % des personnes interrogées affirment n'entamer des recherches généalogiques que sur le Réseau.

Il faut dire que, depuis 2007, les départements français – 55 à ce jour – ont commencé la numérisation et la mise en ligne d'une partie de leurs archives. Cette initiative connaît un large succès, illustré, notamment, par l'engouement suscité par la diffusion des Archives de Paris depuis décembre 2009.

Cent cinquante mille pages visionnées en moyenne par jour, 5,6 millions pour la première semaine de janvier: chasseurs d'ancêtres ou simples curieux ont afflué sur les quelque 5 millions de fichiers disponibles. "Les registres de la capitale n'intéressent pas que les Parisiens", commente la directrice des Archives de Paris, Agnès Masson, qui "s'attendait à une telle réussite".

HOBBY COMMUN

Témoins directs des affluences record réalisées dans les salles d'archives depuis déjà une dizaine d'années, les conservateurs et les documentalistes avaient pris la mesure de l'intérêt des Français pour la généalogie. Près de 300 000 personnes sont affiliées à une association consacrée à cette passion, selon la Fédération française de généalogie. Des chiffres en constante augmentation depuis trente ans.

Car ce qui n'était qu'une passion d'explorateurs de lignée aristocratique, expliquent les spécialistes, est devenu un hobby commun, rendu accessible, à partir de mai1968, par la transgression des tabous –dont celui de la mort– et l'évolution du temps de loisirs. L'apparition, à la fin des années 1990, de logiciels (Généatique, Genopro, Heredis…) et de sites Internet spécialisés en a ensuite dynamisé la pratique.

"Depuis trois ans, la généalogie s'organise de manière croissante comme un réseau social sur Internet, notamment par la jeune génération qui tente de retrouver des cousins", observe Jean-Louis Beaucarnot, généalogiste et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. "Lors des périodes de crise, on a tendance à se replier sur sa famille… quitte à l'élargir", analyse l'ethnologue Christian Bromberger, auteur de Passions ordinaires (Bayard, 2006).

Si l'accessibilité technique participe à la popularisation de la généalogie, l'enthousiasme observé autour des troncs d'arbres familiaux est aussi un signe des temps, d'une société en manque de repères. La première vague d'intérêt des Français pour la généalogie avait émergé dans les années 1970, alors que les crises économiques jetaient un voile d'angoisse sur l'avenir, le premier depuis le début des "trente glorieuses".

CIMENT SOCIAL

La généalogie agirait donc comme un antidote face aux peurs contemporaines. C'est l'avis de Nathalie Serrero, psycho-généalogiste, une discipline qui s'intéresse aux traditions familiales pour interpréter des troubles psychologiques. "Replonger dans ses racines, dans une histoire de vie avec une forme de continuité, a un côté rassurant, explique-t-elle. C'est un moyen de se connaître sans aller dans l'introspection." La généalogie permet d'établir des liens avec son passé mais en noue parallèlement d'autres dans le monde des vivants. "Ce qui me plaît, c'est de recevoir, discuter et transmettre ma passion à des débutants", avoue Gisèle Carnet-Penchenat, bénévole au Centre d'entraide généalogique de France (CEGF).

L'étude des morts peut donc tenir un rôle de ciment social au sein d'une société souvent individualiste et anonyme. "Il y a une dimension associative forte chez les généalogistes qui sont majoritairement des seniors ou des retraités, souligne Danielle Musset, ethnologue et conservatrice de l'écomusée de Salagon (Alpes-de-Haute-Provence). Faire sa généalogie, c'est aussi être passeur entre le monde des morts et celui des vivants, comme pour conjurer sa propre fin. Et préparer son héritage."


Sur le Web :

Fédération française de généalogie: Genefede.org

Centre d’entraide généalogique de France: Cegf.org

Archives de Paris: Canadp-archivesenligne.paris.fr


Stéphane Mandard et Yann Sternis

Un appel pour défendre une généalogie libre

 

Soutenus par plusieurs élus locaux et députés, des associations de généalogie et des archivistes ont lancé un "appel pour préserver une généalogie libre basée sur l'entraide et le partage". Cette pétition, qui peut être signée en ligne (Appelgenealogielibre.free.fr) demande que "les archives publiques demeurent bien commun (…) refusant la privatisation déguisée de nos archives". Les associations s'inquiètent qu'un rapport sur la numérisation du patrimoine culturel, remis en juillet 2009 au ministère de la culture, préconise, selon elles, que la réutilisation des données d'archives publiques fasse l'objet de licences payantes.



Article paru dans l'édition du 01.05.10